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Le Cartulaire de Savigny et le Forez : racines cisterciennes d’un territoire

  • Photo du rédacteur: ericmoulinzinutti
    ericmoulinzinutti
  • 9 oct.
  • 4 min de lecture
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Parmi les grands monuments de l’histoire monastique médiévale, le Cartulaire de l’abbaye de Savigny occupe une place de premier ordre. Établi au XIIᵉ siècle dans le diocèse d’Avranches, il rassemble plus d’un millier de chartes, bulles et donations qui retracent l’essor d’un ordre réformateur avant sa fusion avec Cîteaux en 1147.Loin de se limiter à la Normandie, son influence s’étend à tout l’Ouest et au Centre de la France. À travers les filiations cisterciennes, les réseaux de donation et les échanges de modèles diplomatiques, le Cartulaire de Savigny éclaire ainsi la formation religieuse et économique d’un territoire situé à plusieurs centaines de kilomètres : le Forez, où naîtra la future ville de Saint-Étienne.


1. Savigny, berceau d’une réforme monastique


Fondée vers 1112 par Vital de Mortain, l’abbaye de Savigny naît dans un contexte de retour à la rigueur bénédictine. Elle prône la pauvreté, la simplicité liturgique et la mise en valeur des terres incultes. Dès les années 1120, son rayonnement est considérable : elle fonde ou réforme plus d’une trentaine de maisons filles en Normandie, en Bretagne, dans le Maine et jusqu’en Angleterre.


En 1147, sous le pontificat d’Eugène III, Savigny et ses abbayes entrent dans la grande famille cistercienne. Ce rattachement fait de Savigny un modèle administratif et spirituel, dont le cartulaire devient la référence. Sa méthode de classement des actes, sa rigueur diplomatique et sa vision économique du monde monastique influenceront durablement le monachisme occidental.


2. Le modèle savignien et l’expansion cistercienne vers le Forez


Après 1147, les abbayes issues ou inspirées de Savigny participent à la vaste expansion cistercienne en France centrale. Le Forez, alors aux confins des comtés de Lyon et d’Auvergne, attire les moines désireux de transformer un espace encore forestier et marécageux.


La fondation de l’abbaye de La Bénisson-Dieu, vers 1138, marque le premier jalon de cette présence monastique. Puis, en 1184, le comte Guy II de Forez fonde l’abbaye de Valbenoîte, aux portes de Saint-Étienne. Ces deux établissements, affiliés à Cîteaux, héritent directement des principes savigniens : centralisation de l’autorité abbatiale, exploitation rationnelle du sol, et rédaction systématique des chartes dans des recueils ordonnés.


Les formules diplomatiques utilisées dans les cartulaires du Forez — Notum sit omnibus…, Ego N. dono Deo et Sancte Mariae… — reprennent presque littéralement celles du Cartulaire de Savigny. On y retrouve la même structure juridique, la même précision des témoins et la même volonté de garder trace de chaque transfert de terre.


3. Un modèle économique et territorial


L’intérêt de Savigny pour le Forez est également économique. Les moines savigniens avaient fait de la colonisation agricole un moyen d’ascèse et de prospérité : assèchement des marais, création d’étangs, développement des moulins et mise en valeur des forêts.


Ce modèle est reproduit par les cisterciens du Forez. À Valbenoîte, les moines aménagent la vallée du Furan, défrichent les collines environnantes et fondent les premiers hameaux agricoles à l’origine du futur Saint-Étienne. À La Bénisson-Dieu, ils transforment les zones humides de la plaine ligérienne en prairies fertiles. Dans les deux cas, l’inspiration savignienne est manifeste : la terre est perçue comme un espace de salut et de travail, non comme un simple bien féodal.

Le Cartulaire de Savigny, en consignant avec minutie ces opérations de mise en valeur, offre un miroir fidèle de ce processus que le Forez va reproduire un demi-siècle plus tard.


4. Les mentions de Saint-Étienne dans le cartulaire


Les érudits modernes, notamment Léopold Delisle et Auguste Bernard, ont relevé dans le second volume du cartulaire plusieurs occurrences du toponyme Sanctus Stephanus de Furano, forme latine de Saint-Étienne du Furan. Ces mentions, datées du XIIᵉ siècle, apparaissent dans des notices où sont recensées les possessions monastiques dépendant du réseau cistercien et les échanges fonciers du diocèse de Lyon.


Elles témoignent d’une connexion documentaire et économique entre le monde savignien et le Forez : soit par des donations directes, soit par des correspondances de modèle entre les scriptoriums. Même lorsqu’il s’agit d’une chapelle Saint-Étienne à Savigny même, la récurrence du vocable renforce l’idée d’un culte commun, d’une symbolique partagée et d’une identité cistercienne unifiée.


5. Un apport historique et politique


Pour l’historien du Forez, le cartulaire de Savigny est une source de comparaison précieuse. Il éclaire :

  • la naissance du comté de Forez, par analogie avec les processus de structuration féodale observés en Normandie ;

  • la légitimation des abbayes foréziennes par les bulles pontificales, sur le modèle des confirmations savigniennes ;

  • et la construction d’une mémoire monastique : les actes copiés dans les cartulaires ne sont pas de simples documents juridiques, mais des instruments de cohésion territoriale.

En ce sens, Savigny fut pour le Forez ce que Cluny avait été pour la Bourgogne : un modèle spirituel, mais aussi un laboratoire administratif.


Le Cartulaire de Savigny dépasse largement la seule histoire d’une abbaye normande. Par sa rigueur, son contenu et son influence, il constitue une clé de lecture majeure du développement monastique et territorial du Forez au XIIᵉ siècle. Il inspire la mise en valeur des terres, la rédaction des chartes, la structuration des abbayes, et jusqu’à la toponymie de Saint-Étienne du Furan, mentionnée dans ses pages.

Ainsi, comprendre Savigny, c’est comprendre une part des origines médiévales de Saint-Étienne : un monde où la spiritualité, la terre et l’écriture formaient un seul langage, celui de la construction patiente du territoire.

 

 
 
 

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