Couples pivots français : Qui sont les ancêtres communs au plus grand nombre de nos contemporains ?
- ericmoulinzinutti
- il y a 5 jours
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L’article de Monsieur Charignon met en lumière un phénomène généalogique important : en remontant le temps, il apparaît que nous descendons toujours des mêmes personnes, et notamment de la noblesse. Un article qui vaut le détour, que je publie ici sur Généalogie et Histoire.
Communication de Monsieur Philippe Charignon

On entend souvent dire que St-Louis et Charlemagne sont des ancêtres communs aux trois quarts ou à 90 % de nos contemporains d’origine française. J’ai voulu vérifier cette assertion et rechercher s’il n’y aurait pas d’autres personnes, sans doute moins célèbres mais plus proches de nous, qui seraient tout autant - voire plus fréquemment encore -des ancêtres directs de la plupart d’entre nous. Il est certain que le nombre effectif de nos ancêtres distincts, en remontant notre ascendance sur N = 30 ou 40 générations, ce qui nous amène il y a environ 900 ans (soit vers l’an 1 100 : 1ère croisade) ou il y a 1 200 ans (soit vers l’an 800 : Sacre de Charlemagne), ne peut pas être du même ordre de grandeur que le nombre d’ancêtres théoriques de chacun de nous , soit 2 à la puissance N, qui se monte au niveau vertigineux de 537 millions (pour N = 30 G) ou à 550 milliards de personnes (pour N= 40 G), soit infiniment plus que le nombre réel d’habitants existant alors dans le monde. Il y a donc eu en ces temps reculés beaucoup de personnes réelles qui ont été de très nombreuses fois un ancêtre direct de chacun d’entre nous, par une voie privilégiée d’ascendance dite canonique (la plus courte) mais surtout par de très nombreuses autres, ce qui définit le phénomène d’implexe bien connu en généalogie.
En pratique, j’ai considéré que l’on pouvait exploiter mon très gros fichier généalogique personnel (soit environ 705 000 personnes, publié en partie sur Généanet : ID ‘charignonphil1’) et constitué au fils des ans, depuis une trentaine d’années, avec les ascendances les plus complètes possibles de plusieurs centaines de personnes, d’origines locales et de conditions sociales différentes : famille, alliés, amis, célébrités et autres, constituant ensemble un « corpus » (échantillon pour jeu d’essai) suffisamment représentatif de la population contemporaine de souche française, pour pouvoir en repérer par informatique les ancêtres communs au plus grand nombre de personnes contemporains et de souche française, que je nomme « couples-pivots »: les grands nombres de descendants de ces couples-pivots pouvant alors être comparés au décompte de ceux attribués à St-Louis ou Charlemagne.
Le logiciel de généalogie que j’utilise (Généatique 2026 Prestige, du CDIP) offre une fonction très intéressante d’enregistrement automatique de « marqueurs » d’ascendance de personnes choisies au sein d’un même dossier généalogique. J’ai donc demandé à ce logiciel de marquer automatiquement tous les ancêtres de 25 personnes de référence, dont je savais avoir remonté l’ascendance très loin, au moins jusqu’à St-Louis, ou Charlemagne et même au-delà. Généatique se charge alors de placer et de modifier automatiquement les libellés spécifiques de chaque personne de référence ainsi désignée dans la rubrique « Marqueurs » de les fiches de tous leurs ancêtres respectifs déjà enregistrés dans mon dossier, non seulement au départ (lors de la création du marqueur), mais aussi au fil de toute création ultérieure de fiches de nouvelles personnes, ou de toute mise à jour (corrections diverses, surtout s’il s’agit de filiations erronées) dans le « corpus » généalogique étudié.
Plus précisément, un 1er essai a porté sur 25 personnes « affines », c’est-à-dire non consanguines, et portant des patronymes différents, en pratique choisies parmi les lignées exogames de mon noyau familial : beaux-parents et familles alliées ou « pièces rapportées » (beaux-frères, belles-sœurs, neveux et nièces par alliance), cousins de cousins et amis divers ; car je disposais pour tous ceux-là de l’enregistrement dans mon corpus généalogique (705 000 personnes) d’une ascendance poussée jusqu’aux environs de l’an mille. Avec une formulation de conditions de recherche avancée ad hoc pour y sélectionner les seules fiches individuelles portant l’ensemble de ces 25 « marqueurs d’ascendance» et ayant vécu après l’an mille, par le biais d’une condition limitant la recherche à des N°s Sosa du ‘de cujus’ de mon dossier inférieurs à 100 millions, le logiciel a ‘mouliné ‘ pendant un peu plus de 5 heures sur mon ordinateur pourtant assez puissant, puis a affiché un résultat tout à fait intéressant, que je n’aurais jamais pu trouver avec un logiciel quelconque ou a fortiori à la main, de façon traditionnelle.
St-Louis ne figure pas dans la liste des résultats, car il n’est pas (dans l’état actuel de la base de données de mon ‘corpus’) un ascendant direct des 26 personnes-souches (le ‘de cujus’, plus les 25 personnes de référence marquées) : sa fiche ne comporte que 19 des 25 marqueurs attendus. Charlemagne non plus ne pouvait pas y figurer, bien que sa fiche comporte bien les 25 marqueurs des personnes de référence, car ayant vécu deux siècles avant l’an mille, il a été éliminé par la condition de date (via la limite sur les N° Sosa) ciblant les ancêtres les plus proches de nous (ayant vécu après l’an mille).
Après avoir trié par dates de mariage (même approximatives) la liste des couples-pivots ainsi listés par le logiciel en réponse à la recherche, et en excluant ceux formés par ascendance d’un membre-pivot plus proche de nous et donc déjà trouvé, ou ceux constitués d’un seul conjoint mais marié plusieurs fois, afin de mettre en évidence dans chaque lignée patronymique seulement des vrais couples-pivots ayant vécu au plus près de nous, sur une période d’environ 150 ans centrée sur le XII° siècle, le palmarès a été le suivant (limité ici aux 12 premiers couples), en partant des plus proches de nous, contemporains de St-Louis et séparés de nous par moins de 30 générations :
-1. Albert III de LA TOUR-du-PIN (+ ca 1260) / Béatrice de COLIGNY mariés vers 1220
- 2. Thomas de SAVOIE (+ 1233) / Marguerite (Comtesson) de FAUCIGNY mariés en 1194
-3. Etienne III de BOURGOGNE-COMTÉ (+ 1240) / Béatrice de THIERS-CHALON mariés vers 1186
-4. Raymond de SABRAN (+ 1223) / Guilherme de FORCALQUIER mariés vers 1178
-5. Baudouin V de HAINAUT (+1195) / Marguerite d’ALSACE-LORRAINE mariés vers 1169
-6. Henri Ier de CHAMPAGNE (+ 1198) / Marie CAPET-de FRANCE mariés vers 1164
-7. Simon IV de MONTFORT (+ 1186) / Amicie de BEAUMONT-le-ROGER mariés vers 1160
-8. Gilles de SULLY-BLOIS (+ 1195) / Luce de CHARENTON mariés vers 1158
-9. Frédéric III de HOHENSTAUFEN (+ 1190) / Béatrice de BOURGOGNE-COMTÉ mariés en 1156
-10. Humbert III de SAVOIE (+ 1188) / Gertrude de LORRAINE mariés vers 1155
-11. Pierre Ier de FRANCE (+ 1187) / Elisabeth de COURTENAY mariés vers 1152
-12. Amédée de GENÈVE (+ 1178) / Béatrice AINARD de DOMÈNE mariés vers 1130
Le profil biographique et généalogique de ces différents personnages historiques peut être trouvé facilement sur les bases de données telles que Wikipedia, Généanet ou Roglo. Cette dernière a l’avantage d’enregistrer le plus grand nombre de personnes avec le moins de doublons possibles, au rythme de plusieurs milliers de personnes de plus chaque semaine, d’où un effectif à ce jour de plus de 10 millions de personnes différentes. Egalement, Roglo calcule et affiche les nombres de descendants de chaque personne à chaque génération, ce qui permet de se rendre compte du nombre de ses descendants enregistrés ayant vécu ensemble sur une même période. Au plus haut de la pyramide du nombre de descendants par génération, on trouve actuellement (selon les couples-pivots) entre 180 000 et 300 000 personnes, tous cousins entre eux, en général au bout de 22 à 25 générations de descendance, ce qui nous situe (à raison d’un écoulement moyen de 30 années par génération) à la fin du XIX° siècle (aux approches de l’an 1900), période du plus grand nombre de personnes enregistrées actuellement dans les bases de données généalogiques.
L’« implexitude ancestrale » (néologisme de mon cru) est un concept qui détermine l’amplitude et la variété du phénomène d’implexe, c’est-à-dire de la multiplicité des occurrences et chemins d’ascendance qui relient chacun de nous à un ancêtre donné. Cette implexitude est mesurable précisément par le nombre de ‘Numéros Sosa’, distincts mais équivalents, attribués à chaque ancêtre par la règle de calcul bien connue : tous les ancêtres d’une personne donnée (le ‘de cujus’) et eux seulement portent un N° Sosa ; le père d’un Sosa de N° x porte le N° Sosa pair 2x, et sa mère (souvent conjoint du père) le N° Sosa impair 2x+1. Par exemple, le couple-pivot d’Albert III de LA TOUR du PIN comporte déjà actuellement (dans mon fichier pourtant incomplet) plus de 280 N°s Sosa différents et donc de parcours distincts d’ascendance du ‘de cujus’ de mon arbre (Côme Charignon) vers ce couple-pivot le plus proche de lui. Ce très grand nombre de chemins généalogiques qui nous relient à un lointain ancêtre en implexe explique la forte résilience de l’arbre de descendance de tout ancêtre en implexe : s’il était arrivé que tel ou tel descendant vint à mourir prématurément, par maladie, accident ou résultat de guerres diverses, avant que d’avoir engendré sa propre descendance, nous en resterions pas moins un descendant de l’ancêtre-souche, un seul chemin ayant été alors soustrait de l’arbre des nombreuses lignées d’ascendance reliant chacun à cet ancêtre-souche.
Bien entendu, tous les nombreux ascendants de ces couples-pivots (ou des conjoints isolés exclus) sont aussi des ancêtres directs du plus grand nombre d’entre nous, avec une ‘implexitude ancestrale’ encore largement démultipliée ; et d’autres couples-pivots plus anciens (avant le début du XII° siècle) pourront encore être identifiés, si l’on élargit encore (en nombre, en lieux d’origine et en milieu social) l’échantillonnage des personnes de référence (avec marqueurs automatiques d’ascendance), et si l’on réduit le biais cognitif de l’auteur (moi-même) par un choix plus varié des personnes de référence, afin de rendre le ‘corpus’ de base encore plus représentatif de la population française moyenne.
Pour en revenir à notre point de départ, on remarquera que, pour couvrir par une descendance royale de France l’ensemble des 25 personnes de référence, il faut à St-Louis (Louis IX de FRANCE) remonter encore quatre générations jusqu’à son arrière-arrière-grand-père Louis VI Le Gros, Roi de France (+1137) et son épouse Adélaïde de SAVOIE mariés en 1115, qui sont les parents du couple-pivot de Pierre Ier de FRANCE et Elisabeth de COURTENAY (N°11 de la liste ci-dessus). Quant à l’empereur Charlemagne (Charles Ier de HERSTAL + 814), il reste bien avec son épouse Hildegarde de VINTSGAU (mariés en 771) le plus certain et le plus connu des ancêtres communs au plus grand nombre d’entre nous (français et européens de toutes nations), avec déjà plus de 2, 2 millions de personnes identifiées par roglo sur l’ensemble de sa descendance (sur 47 générations) et déjà plus de 400 N° Sosa différents (et donc de chemins d’ascendance)pour le ‘de cujus’ de mon corpus pourtant encore bien incomplet…
Certains pourront remarquer que ces couples-pivots appartiennent tous à de nobles maisons, bien que les personnes de référence soient pour la plupart des roturiers ; et de s’interroger sur l’existence d’autres couples-pivots qui seraient de simples paysans vivant aussi au XII° siècle, pour peu qu’ils aient eu de nombreux enfants et petits-enfants survivants sur plusieurs des premières générations successives de leur descendance, de façon à nourrir leur arbre d’un aussi grand nombre de personnes que ces couple-pivots de la grande ou moyenne noblesse, soit environ deux cent mille en une seule génération vers la fin du XIX° siècle, comme indiqué plus haut. Or, il est très difficile et rare de pouvoir identifier les filiations documentées allant jusqu’au Moyen-Âge, hormis pour les familles de la haute bourgeoisie et de la noblesse, dont la biographie et la généalogie ont pu être écrites par des mémorialistes, historiens, auteurs et chercheurs divers. Pour les autres couples-pivots non identifiables, l’illettrisme a fait son œuvre d’oubli, ce qui n’a pas empêché Jean de La Bruyère d’affirmer que « Nous descendons tous d’un roi et d’un pendu » !





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