La conquête de l’Algérie : du rêve impérial de Louis XVIII à la colonisation française (1830-1871)
- ericmoulinzinutti
- 16 août
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Au lendemain de la chute de Napoléon Ier et du Congrès de Vienne (1815), la France, dirigée par Louis XVIII, cherche à restaurer son rang parmi les grandes puissances. Si elle a perdu nombre de ses possessions coloniales au profit de l’Angleterre, l’idée d’un empire demeure vivace dans les cercles politiques, militaires et économiques. Louis XVIII lui-même nourrit l’ambition de replacer la France au cœur des échanges mondiaux par une expansion outre-mer.
Dans ce projet, la Méditerranée occupe une place de choix. L’Algérie, alors sous domination nominale de l’Empire ottoman mais gouvernée de manière autonome par le dey d’Alger, attire les regards français. Sa position stratégique face aux routes maritimes, ses terres agricoles et son potentiel commercial en font une cible idéale. Mais ce n’est que sous le règne de Charles X que le projet se concrétise : en 1830, une expédition militaire est lancée contre Alger. La conquête qui s’ensuit, longue et sanglante, s’étendra sur plus de quarante ans et transformera profondément la société algérienne.
1. Le contexte international et français avant 1830
Au début du XIXe siècle, la Méditerranée est une zone stratégique où les puissances européennes rivalisent d’influence. L’actuelle Algérie fait alors partie de l’Empire ottoman, mais l’autorité du sultan reste lointaine. Le dey d’Alger, appuyé par les janissaires, exerce en réalité le pouvoir local, notamment à travers la piraterie et l’imposition de tributs aux nations européennes.
Les relations avec la France sont tendues. Depuis longtemps, le royaume français paye pour protéger ses navires. Mais en 1827, un incident diplomatique – l’« affaire de l’éventail » – offre à Charles X un prétexte : le dey d’Alger aurait frappé du revers de son éventail le consul de France. Cet affront à la monarchie devient l’occasion de lancer une expédition militaire. Charles X espère ainsi restaurer son prestige et renforcer une monarchie contestée en métropole.
2. Le débarquement de 1830 et la prise d’Alger
Le 14 juin 1830, une armée française de 37 000 hommes débarque à Sidi-Ferruch, à l’ouest d’Alger. Après plusieurs combats, elle avance vers la capitale. Le 5 juillet, le dey capitule et signe une convention garantissant en principe les biens et la liberté religieuse des habitants. La prise d’Alger marque l’ouverture d’une nouvelle page : la France ne se contente pas d’une expédition punitive, elle s’engage dans une entreprise coloniale.
Cependant, en 1830, l’autorité française ne s’exerce que sur Alger et quelques ports. La conquête réelle du territoire intérieur reste à accomplir.
3. Une conquête difficile et prolongée (1830-1871)
a) La résistance d’Abdelkader (1832-1847)
Dans l’Ouest, l’émir Abdelkader émerge comme chef de guerre et guide religieux. Il fédère plusieurs tribus et établit un embryon d’État, menant une guerre de guérilla efficace contre les Français. Pendant plus d’une décennie, l’armée coloniale échoue à le soumettre totalement. Mais en 1847, Abdelkader se rend et est exilé. Sa défaite ouvre la voie à l’occupation systématique.
b) La « pacification » et la violence coloniale
Sous le commandement du maréchal Bugeaud, les troupes françaises appliquent une stratégie brutale : enfumades, razzias, destruction de villages, confiscation de terres. Cette guerre totale vise à briser la résistance par la terreur et à détruire les bases matérielles des insurgés. Si elle permet l’avancée de la conquête, elle laisse une mémoire sanglante et nourrit un ressentiment durable.
c) L’insurrection de 1871
Même après la reddition d’Abdelkader, la résistance ne s’éteint pas. En Kabylie, l’insurrection menée par le cheikh Mokrani en 1871 constitue la plus vaste révolte du XIXe siècle. Elle mobilise des dizaines de milliers d’hommes, mais elle est écrasée par l’armée française. La répression entraîne de nouvelles confiscations massives de terres, redistribuées aux colons européens.
4. La mise en place du système colonial
La conquête militaire ouvre la voie à une colonisation de peuplement. Des milliers de colons venus de France, mais aussi d’Espagne, d’Italie ou de Malte, s’installent en Algérie. Dès 1848, le territoire est intégré en trois départements (Alger, Oran, Constantine), signe de la volonté française d’annexer l’Algérie comme partie intégrante de son territoire national.
Cependant, cette intégration reste profondément inégalitaire. Les Européens bénéficient de droits politiques et économiques étendus, tandis que les Algériens musulmans et juifs restent soumis à des statuts d’exception. La société devient duale : d’un côté une minorité de colons privilégiés, de l’autre une majorité autochtone marginalisée et spoliée.
5. Les conséquences humaines et sociales
La conquête provoque une crise démographique majeure : guerres, massacres, famines déciment les populations locales. Les structures sociales traditionnelles sont bouleversées : terres confisquées, tribus affaiblies, élites locales marginalisées.
Sur le plan culturel, la colonisation introduit une politique d’assimilation : imposition de la langue française, des institutions et des lois. Mais cette entreprise se heurte à une forte résistance culturelle et religieuse, qui contribue à la naissance du nationalisme algérien.
6. La mémoire de la conquête
Pour la France du XIXe siècle, la conquête de l’Algérie devient un symbole de prestige et le point de départ d’un vaste empire colonial. Elle nourrit l’idéologie de la « mission civilisatrice ». Pour les Algériens, elle incarne au contraire la violence, la dépossession et l’humiliation.
Cette mémoire conflictuelle n’a jamais disparu. Elle pèse encore aujourd’hui sur les relations franco-algériennes et alimente débats et controverses autour du passé colonial.
La conquête de l’Algérie, initiée en 1830 sous Charles X mais préparée dès la Restauration par le rêve impérial de Louis XVIII, fut une entreprise longue et violente, marquée par la résistance acharnée des populations et la brutalité de la répression. Achevée après l’insurrection de 1871, elle déboucha sur une colonisation de peuplement unique dans le monde arabe, transformant radicalement la société algérienne.
Elle demeure un épisode fondateur mais douloureux de l’histoire commune de la France et de l’Algérie, révélant à la fois l’ambition impériale de la monarchie française et les cicatrices profondes laissées par la colonisation.





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