GENERATION Z...
- ericmoulinzinutti
- 31 mai
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La Génération Z, regroupant les individus nés approximativement entre 1997 et 2010, incarne une rupture profonde avec les générations précédentes, tant dans ses rapports aux institutions que dans ses modes d’existence. Socialisée dans un environnement saturé d’écrans, dans une société marquée par l’instabilité économique, la montée de l’individualisme et l’effacement des repères traditionnels, cette génération apparaît souvent comme en décalage avec les normes sociales établies. Elle est décrite comme à la fois hyperconnectée, hypersensible, dépolitisée, mais aussi lucide et méfiante vis-à -vis des structures de pouvoir. Cette inadaptation n’est pourtant pas le fruit d’un quelconque déficit personnel, mais bien la conséquence directe de transformations sociétales et éducatives majeures.
L’un des phénomènes centraux à l’origine de cette transformation est celui que les sociologues appellent le culte de l’enfant roi. Depuis les années 1980, sous l’effet d’une évolution des modèles éducatifs centrés sur l’épanouissement personnel, les parents ont progressivement abandonné les principes d’autorité verticale au profit d’une éducation plus permissive, fondée sur le dialogue et la reconnaissance des émotions de l’enfant. L’enfant devient alors le centre du foyer, un sujet de projection, parfois d’angoisse, souvent de surprotection. Ce modèle, loin d’être universel, touche principalement les classes moyennes et supérieures urbaines, qui valorisent l’autonomie, la créativité et le développement personnel. Mais il engendre aussi des effets délétères : la difficulté à fixer des limites, la baisse de la tolérance à la frustration, et une moindre capacité à intégrer les contraintes collectives. Le rapport à l’autorité s’en trouve profondément bouleversé, tant dans le cadre familial que scolaire.
À cette dynamique s’ajoute l’utilisation massive des écrans et des outils numériques comme instruments d’apaisement familial. La tablette ou le smartphone devient une extension de l’enfant dès le plus jeune âge. Des études montrent qu’en France, un enfant de 8 ans passe en moyenne 3h30 par jour devant un écran, un chiffre qui atteint 6h chez les adolescents (Insee, 2022). Ce recours quasi systématique aux outils numériques remplit une fonction essentielle : acheter la paix sociale au sein du foyer. Les écrans deviennent une réponse immédiate aux tensions, un outil de régulation émotionnelle, mais au prix d’un isolement cognitif. Le psychologue Serge Tisseron parle d’"enfants connectés mais déconnectés du réel". Plusieurs travaux de neuropsychologie établissent un lien entre la surexposition précoce aux écrans et des retards dans le développement du langage, de la concentration et de la mémoire de travail. La stimulation passive remplace l’interaction réelle, ce qui entrave l’acquisition de compétences fondamentales pour la socialisation et l’apprentissage.
Ces évolutions éducatives se combinent avec une inégale transmission des capitaux au sein des familles, comme l’a théorisé Pierre Bourdieu. Le capital culturel, économique et social transmis dans les familles joue un rôle déterminant dans l’orientation scolaire, les choix d’avenir et la capacité à s’adapter aux attentes du système.
Alors que les familles les plus dotées encadrent étroitement les usages numériques, valorisent la lecture, structurent les loisirs et anticipent les exigences scolaires, les familles issues des milieux populaires – souvent démunies face à l’école – laissent leurs enfants évoluer seuls dans des univers numériques non régulés. Ce déséquilibre aggrave les inégalités. L’école, qui prétend être un lieu de justice sociale, devient un lieu de reproduction. Selon l’Insee, 70 % des enfants de cadres deviennent cadres à leur tour, tandis que seulement 9 % des enfants d’ouvriers accèdent aux catégories socioprofessionnelles supérieures. Le sociologue Camille Peugny parle d’un "pacte républicain rompu", où l’ascenseur social est en panne.
La remise en cause de l’autorité se manifeste aussi de manière croissante dans les établissements scolaires. Les enseignants témoignent d’une perte de légitimité : 68 % d’entre eux se disent régulièrement contestés dans leur autorité (baromètre SNES-FSU, 2023). Les élèves adoptent un rapport consumériste à l’école, où la parole professorale ne s’impose plus comme vérité structurante. L’école est perçue comme un espace de contrainte plutôt que de construction. Le respect de la règle, la ponctualité, la concentration sont vécus comme des injonctions arbitraires. Cette situation génère une fatigue des enseignants et une perte de sens chez les élèves, nourrissant ainsi une spirale de démotivation.
Les conséquences de cette transformation se matérialisent concrètement dans les parcours scolaires. Le système Parcoursup, censé incarner la méritocratie numérique, révèle au contraire les disparités criantes entre les élèves. Les familles les plus informées mobilisent leur capital culturel pour optimiser les choix, anticiper les dossiers, choisir les bonnes spécialités. À l’inverse, de nombreux jeunes se retrouvent perdus dans un système opaque, sans accompagnement, avec des choix par défaut. En 2023, près de 40 % des élèves de terminale n’ont obtenu aucun vœu dans la première phase d’admission - source Ministère de l’Enseignement supérieur -. La frustration et le décrochage guettent une jeunesse déjà fragilisée par la crise sanitaire, la précarité, et l’angoisse écologique.
En somme, la génération Z ne peut être comprise sans analyser les mutations profondes du cadre éducatif, familial et institutionnel dans lequel elle a grandi. Son "inadaptation" n’est pas un accident, mais le produit d’une organisation sociale qui a, volontairement ou non, remplacé la transmission par la déconnexion, l’autorité par la négociation, la culture par l’écran, l’effort par l’immédiateté. C’est moins une génération en crise qu’une génération témoin des impasses d’un modèle de société fondé sur la consommation, l’individualisme et l’inégalité des chances.